Article du 07/01/2020 – La Dépêche – Interview de Patrick Grizou
« Nous vivons une mutation sans précédent »
Comment fonctionne Terres du Sud ?
NOUS avons un statut type coopératif contrôlé par le ministère de l’Agriculture. L’organe de décision c’est l’assemblée générale qui nomme un conseil d’administration, lequel gère la coopérative. Il le fait en cogérance avec le comité de direction mis en place par le conseil d’administration. Il y a 25 personnes au conseil d’administration. Ce sont des gens représentatifs des métiers agricoles mais aussi des territoires couverts par Terres du Sud.
Comment s’est développé Terres du Sud ?
La croissance a été assez rapide, soit par de la croissance externe, soit par de la création d’activités. C’est le cas en production animale aujourd’hui. Elle représente environ 250 millions d’euros de chiffres d’affaires et a été créée par Terres du Sud. Il s’agit essentiellement de la volaille de chair, de la volaille de ponte et du palmipède gras. Nous avons une activité bovine assez réduite.
Vous parliez aussi de croissance externe ?
Dans le domaine des légumes de plein champ, on s’est retrouvé récemment à discuter avec notre voisine Uniproledi, basée en Lot-et-Garonne, à Bias. Elle était en proie à des difficultés financières. Nous avons étudié un rapprochement. Uniproledi a rejoint Terres du Sud pour développer notre entité fruits et légumes. Grâce à l’entrée d’Uniproledi, nous avons une activité fruits et légumes pour l’industrie très significative. Nous sommes à 11 000 hectares. Ce qui fait de nous, en fruits et légumes transformés, un des plus gros groupes français derrière certains Bretons, Euralis et Maïsadour.
En croissance externe, il y a d’autres exemples ?
Il y a eu Delmond foies gras ; intégré en 2012. Il n’y a pas eu d’autre entrée significative. La croissance s’est faite essentiellement autour des productions animales que nous avons développées.
On entend parler d’une nouvelle organisation au sein de Terres du Sud ?
Jusqu’à présent le monde agricole était dans une logique de la fourche à la fourchette. Il fallait inverser cette logique et aller de la fourchette à la fourche. C’est-à-dire produire ce dont le marché a besoin. On a mis en place un fonctionnement en branches d’activités. Nous avons une branche fruits et légumes, une branche céréales, une branche palmipèdes, une branche volailles… Nous avons six branches aujourd’hui avec une intégration totale de chaque filière. L’idée est de coller au mieux au marché et d’avoir une réflexion plus globale dans l’approche des métiers.
Si je suis adhérent, comment fonctionne ma relation avec Terres du Sud ?
Il y a des droits et des devoirs pour les deux parties. Lorsqu’on est adhérent de la coopérative, on est en droit d’attendre des solutions pour développer économiquement son exploitation. En contrepartie, l’agriculteur s’engage avec sa coopérative. Il y a un contrat d’apport. Face à la nécessité d’accompagner les producteurs, il y a forcément des investissements qui sont liés. Il faut donc un engagement dans le temps des producteurs pour y répondre. Le monde agricole est en train de vivre une mutation sans précédent depuis les années 1960. On vit la fin d’un modèle pour essayer d’en mettre en place un nouveau. Nous avons un vrai rôle à jouer pour accompagner les agriculteurs dans ces évolutions qui vont dans le sens de l’histoire.
Elle est de quelle nature cette mutation ?
Elle est basée sur ce qu’on appelle les trois piliers du développement durable : l’environnement, le social et l’économie. C’est une mutation car ces trois piliers sont remis en cause. L’environnement parce que nous sommes confrontés à des évolutions climatiques de plus en plus marquées. Lorsqu’on interroge les producteurs sur ce qui les perturbe le plus aujourd’hui, c’est de faire face à ces événements climatiques. Il faut adapter les productions à ces changements climatiques. Il faut défendre l’idée qu’il faudra continuer à irriguer, donc à stocker de l’eau. Tout cela fait partie du travail que l’on doit mener. Il y a aussi toute la gestion des produits phytosanitaires qui sont montrés du doigt et souvent trop à mon avis. Il faut évoluer, mais il faut laisser le temps aux agriculteurs de s’adapter et de trouver des alternatives techniques et économiques acceptables. Par contre, il est clair qu’on doit accompagner les producteurs vers moins d’utilisations de produits phytosanitaires.
Il se traduit comment cet accompagnement ?
On a un réseau de techniciens sur le territoire qui accompagne les producteurs. C’est grâce au partage entre le producteur et le technicien qu’on trouvera des solutions alternatives. Nous proposons des pistes de développement chez les producteurs. Le producteur saisit ou pas l’opportunité. Nous avons ensuite des équipes dédiées pour accompagner le producteur dans son projet, soit de création d’un bâtiment d’élevage, soit de mise en place d’une nouvelle production…
Quels sont les axes de développement ?
Pour la partie historique de nos activités, l’agrocollecte, nous sommes face à une évolution significative. Notre modèle d’agrocollecte n’est plus possible, pour des aspects réglementaires. On va devoir s’adapter pour continuer à apporter un service à nos adhérents. C’est notre gros chantier sur le pôle végétal. Nous devons accompagner les producteurs sur des évolutions de cultures qui permettront d’utiliser moins de produits phytosanitaires. Cela prendra un certain temps mais la machine est en marche. Est-ce que cela prendra 10 ans, est-ce que cela ira plus vite ? Cela dépendra aussi de notre capacité à trouver des alternatives, du bio contrôle, des techniques de production… Il est cohérent de penser que d’ici 2030 nous aurons fortement évolué dans toutes ces techniques de production et que nous aurons trouvé des alternatives.
Et sur l’activité production animale ?
On a fortement développé une activité volaille alternative. Nous sommes quasi exclusivement sur du bio ou du plein air. En volailles de chair cela s’est traduit par du bio ou du label et en volailles pondeuses cela s’est traduit par du bio ou du plein air. Nous n’avons pas d’œufs cages chez Terres du Sud. Cette volonté est aussi liée à une dynamique territoriale. On transforme nos productions végétales pour faire les aliments pour les animaux. Sur la volaille, après une forte croissance, nous avons atteint une certaine maturité. C’est à nous de conforter nos positions. Il faut aussi conforter tout notre travail autour du bien être animal qui est un vrai sujet de société aujourd’hui. On accompagne tous nos producteurs vers des évolutions quant aux modes de production et de gestion de leurs élevages. Nous avons par exemple un programme d’investissement dans les bâtiments afin que les animaux soient mieux protégés de la chaleur. Il y a aussi tout ce qui est en lien avec la biosécurité, même si la grippe aviaire nous a moins impactés cette année. Autre exemple, nous réduisons la densité dans les élevages de palmipèdes. La filière gras est pointée du doigt à cause du gavage On ne peut pas ne pas considérer l’opinion publique. Il faut qu’on s’adapte. Le monde paysan doit comprendre que les gens qui le connaissent sont de moins en moins nombreux. Cela s’est fait sur un temps assez court. On peut comprendre que les nouvelles générations soient sensibles à tout un tas de sujets car elles n’ont jamais connu ce qui se faisait dans les campagnes. Il y a aujourd’hui un tel éloignement entre le monde agricole que nous représentons et une grande partie de la population. Cela explique la difficulté du monde agricole face à la remise en cause dont il fait l’objet. Cela n’était pas le cas il y a 30 ans. Nous étions forcément mieux compris. Il doit y avoir un gros travail du monde agricole pour expliquer le métier.
Quels outils avez-vous pour sentir le marché ?
C’est l’intérêt du fonctionnement en branches. Sur la volaille, nous avons accès au marché, via la grande et moyenne surface, mais aussi en direct, grâce aux espaces de vente que nous avons développés. Sur le palmipède, c’est pareil. Sur les céréales, c’est un peu moins vrai.
Vous aussi vous faites de la vente directe ?
Dans le cadre de nos magasins Gamm Vert, nous avons créé des espaces de vente de produits alimentaires. Nous avons une quarantaine de commerces sous cette enseigne, propriété d’une union de coopératives qui s’appelle Invivo. Dans notre branche distribution, nous avons aussi développé notre propre marque sur des produits de terroir qui s’appelle « Le Goût de nos Campagnes ». Cette activité permet une relation directe avec le consommateur. Cela doit devenir un moyen de communication auprès des consommateurs locaux pour qu’ils comprennent ce qu’est le monde agricole. Il y a un choix stratégique de notre part. Nous venons d’inaugurer à La Réole un concept de magasin autour des produits de terroir. On y retrouve à la fois des produits de la coopérative mais aussi des produits des adhérents de la coopérative qui sont dans des démarches de vente directe.
Vous avez développé récemment une « blockchain » sur la filière canards.
Elle assure la traçabilité tout au long de l’activité.
Techniquement parlant, cela se traduit comment ?
Sur l’étiquette du canard, il y a juste à scanner avec son smartphone le QR code et on a l’ensemble du parcours du canard : où il est né, comment il a été nourri, de son élevage jusqu’au magasin. C’est un système infalsifiable. C’est la première « blockchain » sur la filière canards.. On veut en faire de même sur toutes nos filières. Cela démontre que le monde agricole s’ouvre et n’a rien à cacher. Si on fait tout notre possible pour répondre aux nouvelles attentes de la société, mettons en place les outils pour communiquer là-dessus.
Quid des deux autres piliers du développement durable tel que vous le définissiez au début de notre discussion ?
Le pilier environnemental évoqué plus haut ne fonctionnera que si les piliers du social et de l’économie fonctionnent aussi. Nous avons un vrai sujet sur la question économique car on voit bien qu’il faut revoir les équilibres sur nos exploitations et dans nos entreprises coopératives aussi. Il faut retrouver une juste valeur de nos produits agricoles. On ne peut pas nous demander de faire de la qualité au prix de l’hyperproductivité. Je suis agriculteur bio depuis 1991 à titre personnel. Je sais très bien qu’on ne peut pas laisser croire qu’on fait de l’agriculture bio au prix du conventionnel. Dans les années 1980, 20 % du budget des ménages étaient consacrés à l’alimentation, aujourd’hui nous sommes à 12 ou 13 %. Tout cela, c’est grâce à la productivité. Il faudra que le consommateur accepte de mettre un ou deux points de plus dans l’alimentation s’il veut davantage de qualité. Il y a encore un vrai sujet qui passe par de la communication, pour retrouver de la valeur ajoutée.
La coopérative Terres du Sud est née en 1992 de la fusion de cinq coopératives lot-et-garonnaises. Dès lors, le groupe est devenu l’un des acteurs majeurs de l’agriculture du département et au-delà puisqu’il intervient désormais sur 13 départements, même si le Lot-et-Garonne, la Dordogne et une partie de la Gironde restent ses territoires de prédilection. Axé à l’origine sur l’agrocollecte liée aux
productions végétales, Terres du Sud doit sa croissance au développement des productions animales depuis le début des années 2000. Sa position de leader dans bien des domaines ne l’empêche pas d’être confronté aux problématiques d’une agriculture française en plein questionnement. Le président de Terres du Sud, Patrick Grizou, a accepté de nous faire part de ses réflexions sur les nombreux sujets concernés.
« Un sentiment d’injustice »
L’agriculture française a-t-elle raté la marche de la communication ? Je crois, mais nous n’avons pas encore perdu le match. Aujourd’hui nous avons besoin de communiquer auprès du grand public pour faire comprendre ce qu’est la contrainte du métier d’agriculteur. Mais aussi pour faire comprendre ce que l’agriculture apporte à la société aujourd’hui. Dans les années 1960, certains prévoyaient des famines sans précédent, y compris dans des pays occidentaux. Ce sont la mécanisation, la génétique, la chimie, qui ont permis qu’aujourd’hui plus personne ne meurt de faim dans le Monde. Si c’est le cas, c’est plus pour des raisons de pouvoir d’achat ou de politique que de disponibilités en nourriture. Le monde agricole a un sentiment d’injustice par rapport à cela. Il a su toujours évoluer pour amener les aliments, tels qu’on lui demandait, avec une sécurité alimentaire qui n’a jamais été aussi forte, et il est montré du doigt presque comme un grand pollueur. C’est une injustice pour le monde agricole qui est parfaitement prêt à évoluer vers des méthodes alternatives. Ce n’est qu’une question de temps.
Un exercice 2018-2019 négatif d’1,5 millions d’euros qui s’explique
« On sort sur un résultat net au 30 juin 2019, négatif au niveau du groupe de moins 1,5 million d’euros. C’est un résultat historiquement bas pour nous-même s’il faut le relativiser en le ramenant au chiffre d’affaires. La structure n’est pas en danger, tant s’en faut, mais cela nous invite à remettre davantage en cause notre modèle économique. Nous devons le retravailler pour retrouver de la compétitivité. Cette perte est liée à un contexte céréalier de faibles récoltes la saison précédente. Nous avons eu aussi l’impact de la grippe aviaire sur l’activité palmipèdes. On a connu une baisse ignificative des prix. L’activité fruits et légumes, avec la reprise d’Uniproledi, a perturbé aussi le compte de résultat. Il y a eu tout un tas de phénomènes, et puis un contexte agricole qui reste compliqué économiquement et qui s’exprime par un résultat qui n’est pas très bon. C’est à l’image de ce que vivent les exploitants agricoles ».
Baptiste Gay.
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